Extrême droite : une coupable banalisation

L’extrême droite est aux portes du pouvoir. Sa politique sera liberticide, extrêmement violente à l’égard des minorités quelles qu’elles soient, et profondément inégalitaire, en pénalisant d’abord les moins aisés.

Le cataclysme politique que nous vivons a bien des raisons. En tant que chercheur·es spécialistes des médias et du journalisme, la première qui vient à l’esprit est la lente dérégulation du secteur des médias depuis les années 1980, qui a donné naissance à la concentration de titres de presse, de radios et de chaînes de télévision aux mains de quelques milliardaires. Ceux-ci n’ont que faire du pluralisme. Vincent Bolloré a ainsi pu transformer « ses » médias (CNews, Europe 1, Le JDD…) en canaux de propagande d’extrême droite, piétinant toute déontologie. Ils le font d’autant plus facilement que tout contre-pouvoir journalistique a été soigneusement laminé au sein des rédactions, laissant les coudées franches aux pseudo-experts en plateau peu soucieux de l’honnêteté de l’information.

C’est aussi le résultat de l’incurie de l’Etat, d’une absence de volonté politique pour réguler les médias autrement que sur le plan économique. Ce même laisser-faire qu’on retrouve dans les prises de position déshonorantes d’une partie de la classe politique, qui refuse la mise en place d’un barrage républicain en feignant de croire que le plus grand danger pour la démocratie viendrait de la gauche.

Mais les médias ne font pas tout. Ils n’ont pas les effets qu’on leur prête trop facilement. La sociologie des médias est unanime sur ce point. Le trouble est bien plus ancien que la logorrhée des chaînes d’information en continu. Les frustrations liées au sentiment d’abandon et à la disparition progressive des services publics, les désillusions face à la reproduction inexorable des inégalités sociales, la peur du déclassement se lisent dans les cartes des résultats électoraux où les campagnes brunissent d’année en année.

Cependant, imputer la montée de l’extrême droite aux seules classes populaires du fait de leur supposé manque de sens civique est une manière pour les classes dominantes de se dédouaner. C’est oublier un peu vite que le vote Rassemblement National progresse aussi sensiblement chez les cadres et professions intellectuelles, catégories qui en étaient traditionnellement éloignées, mais qui se complaisent dans un détachement moralement fautif à l’égard de celles et ceux qui sont et seront les victimes de politiques iniques. Preuve que l’évitement du politique conduit à la banalisation du mal. Preuve que les renoncements politiques, professionnels et civiques conduisent à ce que l’impensable se réalise. Face à ce chaos politique, les professionnels des médias doivent aussi interroger leurs pratiques coupables dans la normalisation de l’extrême droite.

Loïc Ballarini, Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola, Olivier Trédan
enseignant·es-chercheur·es, spécialistes des médias, IUT de Lannion / laboratoire Arènes